Comme la plupart d’entre vous, je viens d’apprendre que le 14 janvier était la journée internationale de la logique. Comme quoi, on en apprend tous les jours, everyday’s a school day!

À ce titre, je me suis dit que j’allais vous concocter un petit article sur la logique dans la langue.

Ça va sentir la linguistique à plein nez, alors accrochez-vous !

Une langue logique, c’est quoi ?

Pas facile de répondre à cette question en fait. En linguistique, on peut donner plusieurs définitions à une langue logique, mais dans un souci de simplicité, j’en ai retenu deux que je vais vous détailler ici.

Sans parler de la langue, la logique, c’est la science du raisonnement, oubliant son côté physique ou psychologique.

Maintenant, on considère qu’une langue est logique, d’après plusieurs critères, notamment selon si elle permet, voire force, l’expression de déclarations non ambiguës. En gros, qu’elle réduit le plus possible les double sens syntaxique (dans la phrase) et sémantique (dans les mots en eux-mêmes).

Ce sera plus concret avec des exemples : si je vous dis le mot « voler », celui-ci peut très bien vouloir dire voler dans les airs, ou dérober. C’est ce qu’on appelle un mot polysémique (littéralement « plusieurs sens »), qui fait partie de la catégorie plus générale de l’homonymie (avec les homophones et homographes). En anglais, « voler » peut se traduire par to fly ou to steal, ce qui a tendance à faire rire mes apprenants FLE, au même titre que le mot « avocat », désignant soit un métier (lawyer) soit un fruit (avocado).

De la même façon, si vous me demandez « Pourriez-vous me donner l’heure ? », je pourrais très bien, en toute logique, vous répondre « Oui, je peux. ». Ici, il s’agit évidemment juste d’une formule de politesse, on ne me demande pas si j’ai la capacité de donner l’heure, c’est une manière polie de dire « Donne-moi l’heure ». Un autre exemple, « nous avons eu le Président à dîner » peut ici très bien avoir deux sens, selon que vous êtes cannibale ou non.

Une langue logique cherche donc à supprimer au mieux ces ambiguïtés.

Le deuxième critère est la logique phonétique, à savoir si une langue se prononce comme elle s’écrit, ce qui est en général du pain béni pour les nouveaux apprenants. Difficile à concevoir pour nous, Français, avec nos milliers d’exceptions, de lettres muettes, de combinaisons et fusions de sons ou autres liaisons.

Quelles langues sont les plus logiques ?

Encore une fois, difficile d’y répondre de manière précise, je pourrai donc vous donner que quelques exemples relativement subjectifs.

L’allemand est sûrement la langue qui viendra en tête le plus aux Français, particulièrement affectionnée par les plus scientifiques (entendez par là « non-littéraires ») d’entre vous pour son côté à la fois mathématique et logique et phonétiquement constant à 99% du temps.

Le turc, grec et le finlandais sont également dans le palmarès, en tant que langues très transparentes avec peu d’ambiguïté.

On pourrait penser par ailleurs à certaines langues asiatiques telles que le japonais, coréen ou chinois, qui sont en général sans surprise grammaticalement et vocalement, mais dotées de systèmes d’écriture complexes.

Enfin, j’ai pu retrouver le Basque comme dialecte très logique au fil de mes recherches, ce qui ravira nos amis des Pyrénées, bien que je n’aie moi-même aucune notion dans cette langue.

Une dernière chose en revanche, si on compte les langues artificielles, on retrouve sans surprise l’espéranto (dont je parlais dans mon article précédent), ainsi que le Loglan et son successeur le Lojban, toutes deux des langues purement artificielles créées dans les années 50 par le Dr. James Cooke Brown. Ce sont des langues prédicatives, basées sur des modèles mathématiques ; et même si extrêmement intéressantes, je vous épargnerais les détails.

Quid du français et de l’anglais ?

Je pense que vous vous en doutiez et si vous avez bien suivi l’article jusqu’ici, l’anglais et le français sont des langues très peu logiques ou phonétiques.

Le caractère concis de l’anglais la rend rapidement ambigüe, et la forte présence et importance de ses accents tonique et lexical n’aident pas. Vous êtes sûrement tombés sur des vidéos sur les réseaux sociaux montrant l’illogisme de prononciations (tel que le très drôle Loic Suberville), moquant par exemple le fait que « eight » se prononce comme « ate », mais « height » se prononce /hait/, en revanche « hate » se dit /heit/, alors que « weight » et « wait » se prononcent de la même manière…

« Separate » se prononce différemment selon si c’est un verbe ou un adjectif, to « lead » se conjugue lead/led/led alors que to read devient read/read/read, où les deux derniers mots se prononcent quand même comme « red », et c’est sans compter sur les différences régionales.

Le français est souvent considéré comme le pire élève de la classe quand il s’agit de logique.

Ainsi le son /o/ s’obtient avec, au choix, les lettres « o », « au » ou « eau ». Le mot eau ne contient d’ailleurs même pas la lettre « o », mais se prononce comme tel.

Le son /s/ en français, peut se retrouver, tenez-vous bien, de 12 façons différentes, comme dans les mots « sœur », « régisseur », « noirceur », « français », « science », « formation », « six », « aztèque », « Smith », asthme, « succion », ou « acquiea ».

« Dix » se dit /diss/ mais devient /diziem/ dans « dixième », alors que « dizaine » s’écrit avec un « z ».

Des milliers de mots ont une lettre muette (loup, forêt, français), souvent d’origine étymologique (ou pas, dans le cas de « loup » par exemple, qui est passé de « lou » à « loup » simplement pour ressembler au latin lupus), certaines lettres sont archaïques phonétiquement parlant (le ç cédille, ou la lettre « ù », présent uniquement dans le mot « où » dans toute la langue française, afin de le différencier de « ou »).

Le français a tendance également à faire des liaisons purement phonétiques – parce-que-c’est-plus-joli – notamment avec le « h » (« des hôpitaux » mais « des haricots ») ou le fameux -t- comme dans « qu’en dira-t-on ? », de même que « vas-y » ou « va-t’en » gagnent des lettres totalement superflues pour aider la prononciation de sons voyelles d’affilée, dont le Français a horreur.

La liste continue ad vitam æternam, je vais m’arrêter là pour aujourd’hui.

Le maux de la faim

Logique ou non, une langue n’est pas meilleure ou pire qu’une autre, si ce n’est plus simple à apprendre pour un nouvel apprenant évidemment.

Là encore, tout le charme du français repose certainement dans sa finesse et sa richesse, de même que l’anglais est sans conteste une des langues les plus poétiques, son apparente concision et simplicité permettant beaucoup de sous-entendus et double sens.

Il est également assez étonnant de voir que la logique des locuteurs du monde, et à plus forte raison leur perception du monde, est sujette à la langue elle-même.

À titre d’exemple, le Kuuk Thaayorre est un dialecte australien dans lequel les directions « gauche, droite, devant, derrière » n’existent pas. En lieu et place, ses locuteurs utilisent les points cardinaux pour se repérer dans l’espace, ce qui signifie en revanche qu’ils savent en permanence où se situe le nord, et ont développé une boussole interne innée (imaginez dire « Tu peux me passer le sel qui est au sud-est de toi s’il te plaît ? »).

J’en parlais brièvement dans un article précédent, mais le langage et la logique sont assez indissociables, cette dernière n’étant pas réservée à la science et mathématiques ; tous les tests de QI utilisant des tests de langue, comme des suites logiques de mots, au même titre que des suites logiques numériques par exemple, afin d’évaluer les capacités des individus.

À ce titre, je pense que vous pouvez au final être fier de parler français, car même si illogique au possible, elle n’en reste pas moins une des langues les plus complexes, romantiques et précises au monde.

Et, si vous souhaitez apprendre de nouvelles langues, aussi « logiques » ou « illogiques » qu’elles le soient, c’est ici que ça se passe !